Aussi loin qu’il se le rappelle, Lander avait toujours vécu dans la rue au sein de la horde. La horde, nom que s’étaient donnés les enfants qui partageaient un bout de paillasse dans un vieil entrepôt en ruine d’Eauprofonde, au cœur du quartier du port. Orphelins et fugueurs des bas-fonds s’étaient regroupés là et y vivaient ensemble, y mangeaient ensemble et en sortaient ensemble pour partir en chasse. Un certain Grim Maindor, obscur malfrat sans envergure, avaient eu l’idée de rassembler ces enfants solitaires et de les faire travailler à son profit, préférant engranger les bénéfices et laisser d’autres que lui prendre tous les risques.
Comment Lander s’était-il retrouvé là restera un mystère. De ses géniteurs, il ne conservait aucun souvenir. Etait-il le fils illégitime d’un notable abandonné à la naissance ou, plus vraisemblablement, l’enfant d’une prostituée jeté à la rue à la mort de sa mère ? Nul n’aurait pu le certifier. Toujours était-il que le gamin n’avait pas son pareil pour subtiliser la bourse d’un passant distrait ou courir sur les toits et s’introduire dans les maisons par des mansardes étroites.
Les années passaient et Lander gagnait en habileté, étant parfois mis à contribution pour des interventions plus musclées. C’est au cours de l’une d’entre elles qu’un étrange phénomène se manifesta. Alors qu’il venait de porter un coup sournois pour assommer un brave citoyen avant de le soulager de sa bourse, il fut envahi par une sorte de frisson. Un sentiment de puissance le parcouru des pieds à la tête, vague de chaleur qui se traduisit par une vive lueur qui illumina brusquement la ruelle étroite où il se trouvait. Alors que sa victime titubait encore, le voleur maladroit s’enfuit en courant, encore sous le choc de ce qui venait de se passer.
N’ayant pas une confiance aveugle en Grim Maindor, le garçon jugea préférable de ne pas parler de cet événement insolite et de reprendre, comme si de rien n’était, les activités auxquelles son « mentor » le contraignait. Bien naturellement, l’incident le turlupinait et, petit à petit, il en arriva à constater que son « don » se manifestait en présence de magiciens. Cet enfant de la rue avait une affinité particulière avec la Toile. Ce n’était pas cette fusion qui permettait de lancer des sorts puissants mais une caresse plus subtile qui se faufilait insidieusement et dérobait une partie de ce pouvoir.
Pendant ce temps, la horde croissait et ses activités s’étendaient toujours plus loin, attirant l’attention de la Guilde de Xanathar qui voyait d’un mauvais œil ce « succès », surtout s’effectuant en dehors de son contrôle. Farouchement indépendant, Grim Maindor avait toujours refusé la moindre subordination, sans s’apercevoir qu’il provoquait ainsi l’inimitié des résidents de Port-Crâne.
Un matin à l’aube, des hommes envoyés par Colstan Rhuul, maître des assassins, s’introduisirent dans l’entrepôt. En quelques minutes, tout fut terminé, Grim Maindor et ceux qui tentèrent de résister furent proprement exécutés tandis que les autres enfants, plus jeunes, furent capturés. Qu’ils rejoignent les rangs de la Guilde ou finissent comme esclaves importait peu. Un obstacle à l’unité forcée de la pègre d’Eauprofonde venait d’être balayé.
Dans tout ce tumulte, Lander eut beaucoup de chance. Réveillé aux premiers bruits de l’attaque, il n’eut que le temps d’empoigner son sac, maigre bagage qui renfermait toutes ses richesses, et de se faufiler dans l’ombre, fuyant le plus loin possible de ce massacre.
Apeuré, sursautant au moindre bruit, il parvint sur le port. Dans un réflexe irréfléchi, il se précipita vers le premier navire en partance, parvenant par on ne sait quel miracle à convaincre le capitaine de l’embaucher comme mousse. La destination était Gemmaline. Soit. De toute façon, tout était préférable au fait de rester sur place.
Suffisamment connu pour que les Xanathariens s’étonnent de son absence et se mettent à sa recherche, Lander espérait que la distance suffirait à garantir sa sécurité. Le temps était néanmoins loin où il pourrait de nouveau dormir sur ses deux oreilles, sans crainte de voir la dague d’un meurtrier se rapprocher de sa gorge.